Deuil
Salut,
Ça fait méchamment longtemps pas vrai ? Une impression de temps immémoriaux même.
Je me souviens vaguement de tes sourires, me souviens surtout comme rire et sourire t'apaisait, te faisait te ressentir comme la lumière pouvait te tutoyer. Et cet humour extrémiste de liberté et de sens, même d'absurdes. Trop adulte déjà. Des trop pleins de révolte envers tout. Un rire fort.
Je me souviens comme tu courrais, nageais, pédalais, roulais et crapahutais à la moindre opportunité. Ta vie comme un feu qui dévorait ton corps. Dis, t'es pas totalement consumé j'espère ?
Elles étaient là aussi, les nuits à trépigner d'ivresses sur des rifs à exorciser, toujours plus forts.
Et des yeux qui parfois t'envoyaient sur des rives de couleurs vibrantes à t'en faire oublier les lois de la physiques et dévaler des vallées et crêtes aux odeurs d'absolus.
Et, dis. T'en est revenu ? Du rouge et le noir ? Du dernier acte de Don Juan ? T'as rattrapé Zorg ?
Ou t'as fini par devenir un de ces fantômes hurlant au vide ? Un de ceux qui se sont brûlés à trop de faîtes sans avoir su ou pu s'en arroger si ce n'est une once suffisante pour apaiser les poids des jours, sinon l'approximative maîtrise d'un art apte à délivrer et transmettre une image ou une vibration aux sens de quelques uns de leurs semblables, et qui se perdent seuls en eux-mêmes. Aphones au monde.
Parce que je me rappelle tes nuits blanches à te noyer les oreilles de musique tandis que tu sombrais à élimer les pavés. Des images comme des bruits, de tes gouffres aspirant tes regards vers les profonds, les crevasses à ton âme.
Peut-être était-ce dans ton regard, aussi dans l'accumulation de carapaces et les alternances imprévisible à la transparence. Ça givraient les lèvres, maintenait à distance. Faisait ricaner, mépriser même, et plus souvent qu'il n'en faut générait une hostilité reptilienne, parfois des coups. Et puis l'indifférence distante, à la longue. Et puis tes mots, ton langage et tes idées d'idéaux. Ton foutoir de philosophie anarcho-dandy-névrotico-reptilienne. Des ombres qui couraient sur toi. Sortaient par ta bouche et fermaient ton visage.
J'ai détourné mon regard il y a longtemps. J'ai fait ça en plusieurs temps, je sais, tu sais, doucement; pour que tes yeux s'habituent à l'obscurité, tes sens au silence.
Je t'ai vu lutter un peu parfois, un peu. Une fois un mouvement atypique. Et chapeau bas. De l'indicible bordé de velours extatique. Du non-commun aux mortels. Un phœnix noir pour le Loup des steppes. Des renaissances et des flamboiements dantesques, instants éternels. Tes reflets d'absolus ?
D'autres feux à ta raison et tes sens aussi. Quelques. Et d'autres, les si peu mais au moins odeurs d'ivresses. Oasis à tes déserts. Les étincelles embrassant des plaines asséchées. Feux de pailles et brûlures. Des cendres.
Et mon siège racorni.
Aujourd'hui je ne t'approche plus que dans l'espace entre cet autre toi qui n'est pas toi, cet organisme bondissant au cœur gorgé d'infinis, et ce dans le temps où il rôde et ri autour de toi. Dans ces jours morcelés, conditionnés, métronomés. Et je repars toujours avec lui.
Bien-sûr que je ne t'adresse ces mots que par jeu à tes impérieux et inutiles regards. Car comment ne pas remarquer, ou, comment pourrais-je ne pas remarquer, ces élans. Tes balancements. Quelques temps déjà que tu oscilles et lèves par instants ton regard. Tu vois ton sang agiter ta peau là où elle est diaphane. Te surprends à te croire vouloir vibrer. Pouvoir. A te demander si d'absurdes en absurdes tu ne pourrais poser ta main autour de mon cou. Frôler l'essence. Encore une fois.
Je n'attends aucune réponse aux interrogations que je pose, tu le sais. Je suis avant, suis après, et ailleurs ; et, tu le sais aussi non ? Je n'en ai cure.
Par jeu et plus que cela ces mots. Parce que je sais comme tu fixes ton regard aux mots comme l'on ouvre les voies sur les falaises. Et pour qu'avant que la pitié ne soit ta prochaine messagère de chaleurs rances et mortifères, j'ai ce geste déjà trop prolixe en préfixe à seule fin d'égard pour moi-même. Pour vivre encore et survivre dans ce petit d'homme encore chargé de possibles à mille 'je t'aime' à ses semblables, à mille 'je t'aime' en retour.
Aveugle et si lucide. La réponse à tes regards en points d'interrogations tient en un seul mot, un ultime et à sa place : Adieu.
L'amour.